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Le réveil du géant

Fermer l'Internet pour épargner EMI et Disney est l'équivalent moral à brûler la librairie d'Alexandrie pour assurer la longévité des scribes monastiques.
- Jon Ippolito, du Guggenheim, sur le CBDTPA1

Lundi, 1 octobre, 2057
(Metadate~: 2.280-0:00:000 kJ nouvelle epoch)
Hollywood, Californie

«Ah, bonsoir ! Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous présenter mademoiselle Katy Sinclair.»

Katy sourit en s'avançant à travers la porte, des applaudissements accompagnant son entrée dans la fête. Sa robe du soir éclatante moulait de manière provocante son corps athlétique, la soie blanche contrastant avec le mat de sa peau d'ivoire. Elle portait ses cheveux droits, à longueur d'épaule.

«Mme. Sinclair, dit une femme souriante, l'approchant. Bonsoir. Nous avons tous entendu parler du travail merveilleux que vous avez accompli en protégeant notre dernière version, Nihilist Nation. Je voulais juste vous remercier en personne pour tout ce que vous avez fait.

- Nancy McPherson ? Quel plaisir c'est de vous rencontrer ! J'ai toujours été une admiratrice de votre travail.

- Eh bien, merci beaucoup, Mme Sinclair. Dites moi, Connaissez-vous Jack Rosen ?

- Seulement de réputation, dit Katy, souriant et se tournant vers l'homme, un petit gros à la chevelure éparse, alors qu'il se joignait à elles. Nos bureaux ont vu passer beaucoup de comptes-rendus de votre travail pendant les dernières semaines, mais sans avoir encore eu le plaisir de vous rencontrer.

- Tout le plaisir est pour moi, répondit Jack Rosen. Champagne ?

- Avec plaisir.»

Jack Rosen fit signe à un serveur, prenant deux flûtes d'un champagne pétillant aux reflets dorés, et les portant aux deux femmes, puis en prit une troisième pour lui-même.

«Je voulais juste vous féliciter personnellement pour le travail fantastique vous avez accompli sur le dossier FreeNet. Vous êtes l'étoile du FBI !

Katy sourit une nouvelle fois.

- Peut-être exagérez-vous un petit peu, M. Rosen...

- S'il vous plaît, appelez-moi Jack. Seuls mes avocats et mon ex m'appellent M. Rosen.» Il se laissa aller à un éclat de rire gras, qui couvrit un instant les bavardages polis de la salle. Katy le trouva soudain répugnant.

«Ah, Jack, J'aurais dû deviner que iriez amuser l'invitée d'honneur.

- Bonjour, ma chère Hilary.»

Jack se retourna, donnant à la dame qui approchait un baiser rapide et sec sur chaque joue. Elle était d'âge moyen, élégamment vêtue.

«Katy Sinclair, laissez-moi vous présenter Mme. Hilary Valenti, membre du conseil d'administration de la Recording Industry Association.

- C'est un plaisir de vous rencontrer, répondit Katy, serrant la main qu'Hilary lui offrit.

- De même, Répondit Hilary. Mais dis-moi, Jack, chéri, tu n'es pas en train d'essayer d'inviter notre honorable invitée à un rendez-vous privé dans ta petite bibliothèque malpropre, j'espère.»

Katy cligna des yeux, incertaine de ce qu'elle allait répondre sous le regard pénétrant et prédateur de la femme. Hilary sourit, glissant son bras autour de la hanche de Katy alors qu'elle lui chuchotait à l'oreille.

«Ne t'inquiète pas, chérie. Je garderai le loup hors de la bergerie. Tu me fais simplement savoir si tu as besoin de t'esquiver pour prendre l'air, hmm ?

- J'étais simplement en train de complimenter Mme. Sinclair sur le travail exemplaire qu'elle à fait. Son témoignage dans le procès FreeNet de Berkeley a vraiment convaincu l'assemblée.»

Katy réprima un frisson et tenta de s'échapper poliment du contact inopportun de Hilary, en essayant d'ignorer l'invitation que suggérait si clairement sa posture.

«Les preuves étaient accablantes, répondit Katy. Je suis heureuse que le FBI puisse aider à mettre derrière les barreaux ces hooligans de l'Internet.

- Nous aurions besoin de plus de femmes de votre calibre, fit Hilary Valenti, ses yeux bleux glace se déplaçant suggestivement de haut en bas sur le corps de Katy. N'êtes vous pas d'accord, Jack ?

- En effet, Hilary. Une douzaine comme elle pourrait satisfaire les besoins de la Motion Picture Association.

- Alors que nous, à la Recording Industry Association seriont très satisfait avec juste elle, l'unique, Katy Sinclair.» Hilary Valenti sourit, sa main caressa brièvement la hanche de Katy. Katy fit à nouveau un sourire poli, scrutant la salle à la recherche d'un visage familier. A son grand désespoir, elle ne vit aucune trace de son patron. Il devait pourtant bien être là. Cet évènement était trop important politiquement pour que son directeur ne soit pas présent.

«J'ai cru comprendre que votre grand-père était musicien ? demanda soudain Hilary Valenti.

- Oui, répondit Katy avec un sourire honnête pour la première fois de la soirée. Il était artiste de hip-hop au tournant du siècle.

- Il était plutôt célèbre ? demanda Jack Rosen à son tour.

- Oui, répondit Katy, Il l'était, durant de nombreuses années.

- Alors, demanda Hilary, Pourquoi la mignonne petite-fille d'un riche musicien à succès deviendrait-elle un agent du FBI ?

- Grand-père n'était pas si riche, répondit Kathy. En fait, il est mort dans la pauvreté. Ma mère devait cumuler deux emplois pour nous nourrir.

- Quelle malchance ! Hilary mis son bras confortablement autour de Katy. Je suis désolée d'entendre ça.

- Pardonnez mon indiscrétion, demanda Jack, mais comment votre grand-père a-t-il perdu sa fortune ?

- L'internet, répondit Katy amèrement. Ses fans lui ont volé sa musique et l'ont laissé dans la misère.

- Ah, répondit Hilary. Napster et l'anarchie digital du vingtième siècle.

- Oui, soupira Katy.

- Et maintenant vous arrêtez et mettez en prisons les violeurs de droit d'auteur, pour venger votre grand-père ?

- En partie, admit Katy. Mais je le fais surtout parce que je veux que justice soit faite. Je veux que ces parasites soient derrière les barreaux, où ils ne pourront faire aucun dommage économique ou social aux artistes d'aujourd'hui.

- C'est une façon fabuleuse de rendre hommage à votre grand-père, commenta Hilary.

- C'est admirable», acquiesça Jack, lançant un sourire sournois à une jeune serveuse qui passait par là avec un plateau de hors d'oeuvres. Attrapant une petite fourchette, il fit sonner plusieurs fois son verre de champagne.

«Mesdames et Messieurs,» fit-il, élevant la voix. Il pris une pause, puis fit tinter son verre une nouvelle fois, en attendant que s'estompe le bruit des conversations.

«Mesdames et Messieurs, répéta Jack Rosen. Levons un toast. A la femme de l'heure, Mme. Katy Sinclair, dont la beauté est surpassée seulement par sa maîtrise de l'art de l'investigation. C'est pourquoi nous, industriels du film, l'estimons au moins autant que le FBI ne le fait. Katy Sinclair, dont le témoignage cette semaine a conduit à l'emprisonnement à vie de sept opérateurs FreeNet, et à la destruction de leurs n\oeuds. Puisse sa contribution dans la défense de notre propriété intellectuelle, pierre fondatrice de notre industrie, être estimée à sa juste valeur.»

De bruyants applaudissements suivirent, suivis d'appels scandés : «Un discours ! un discours !»

Katy sourit, levant ses mains et priant gentiment la foule de se calmer.

«Je voudrais juste dire merci à tous ceux qui ont apporté leur soutien aux efforts du FBI dans cette enquête, et en particulier aux bureaux de Jack Rosen et à la Motion Picture Association, pour leur très généreuse assistance légale et leur support logistique incomparable sans lequel l'enquête n'aurait pas pu avoir lieu. Je suis satisfaite que nous ayons pu attraper les coupables, et les remettre à la justice.»

Nouvelle vague d'applaudissements.

«Qu'ils mangent du riz ! lança quelqu'un.

- Du riz des Nations Unies, ajouta Hilary Valenti avec un grand sourire. Après tout, ils passeront le reste de leurs vies à l'emballer dans des sacs de toile. Katy, ma chère, voudriez-vous me rejoindre dans la bibliothèque ?

- Merci Mme. Valenti, mais ...

- Elle nous rejoindra certainement, l'interrompit Jack Rosen, retirant avec assurance son verre de champagne de ses mains et le tendant à un serveur qui passait tandis qu'il saisissait le bras gauche de Katy, et qu'Hilary faisait la même chose avec le droit.

- Appelez-moi Hilary, ma chère. J'ai de bons pressentiments, nous allons devenir de merveilleuses amies !

- Ne vous inquiétez pas pour Hilary, dit Jack d'une voix calme qui, dans d'autres circonstances, aurait été rassurante. Elle essaye compulsivement de plonger ses griffes dans tous les jeunes hommes ou femmes attrayants qui passent à sa proximité.» Ils l'éloignèrent ainsi de la salle de réception, descendirent une vaste cage d'escalier, puis longèrent un corridor fortement éclairé.

«Bien sûr, Katy chérie, Jack va simplement te coincer dans un coin de sa vieille bibliothèque poussiéreuse et faire ce qu'il a à faire avec toi. Pas de préliminaires. Pourtant... ajouta-t-elle en s'humectant ostensiblement les lèvres, sa technique dans d'autres circonstances peut être très ... stimulante. Quoi que j'imagine que vous trouverez mes soins plus agréables.

- Si vous aimez jouer le rôle d'un filet mignon sur une assiette, rétorqua Jack en souriant.

- Dites-moi, mon cher Jack, répondit Hilary, avez-vous fini par venir à bout du procès que vous a intenté cette pauvre servante, avec qui votre femme vous a trouvé dans la bibliothèque ? J'ai entendu dire que ses bleus se voyaient encore une semaine après.

- Sornettes ! répliqua Jack. C'était une rumeur infondée que mon ex a initié, un petit stratagème pour essayer d'influencer le partage des biens après le divorce. J'ai été un modèle de courtoisie avec cette jeune femme... ah, nous y voilà.»

Ils s'arrêtèrent devant une lourde porte d'acajou encadrée par deux gardes en uniformes bleus, des hommes que Katy reconnut immédiatement comme des agents d'intervention du FBI. L´un d'eux parla dans un petit microphone, qui faisait partie de l'équipement moderne et discret dissimulé dans les uniformes que portaient les deux gardes. Presque immédiatement, les portes s'ouvrirent.

«Ah, bonsoir Agent Sinclair !»

Katy poussa un soupir de soulagement en reconnaissant l'homme qui se tenait devant elle.

«Hilary Valenti, Jack Rosen, je crois savoir que vous connaissez déjà Donald Bryant, le directeur de la branche Propriété Intellectuelle du FBI.

- Effectivement, fit Hilary, souriante, en faisant la bise au directeur Bryant. Donald et moi avons été de proches amis pendant de nombreuses années.

- Heureux de vous revoir, directeur, dit Jack en lui serrant chaleureusement la main.

- Je vois que vous avez réussi à extraire l'invité d'honneur des festivités, observa le directeur Bryant. Bon travail.

- Quoi de plus discret, quand on est le centre d'attention de la soirée, que de se faire escorter à l'étage pour vaquer aux plaisirs de la chair ? répondit Hilary en souriant. Vous voudrez bien nous excuser, ma chère, de vous avoir ainsi effrayée. Jack et moi avons une réputation à tenir, après tout.

- Nous avions besoin de vous faire quitter la fête aussi discrètement que possible, s'excusa le directeur Bryant. J'espère que cette escorte n'a pas été trop inconfortable.

- J'ai connu pire, abrégea Katy.

- Je n'en doute pas.

- Dites-moi, Katy, comment trouvez-vous mon petit coin d'Alexandrie ?» demanda Jack Rosen.

Katy regarda autour d'elle. La porte qu'ils avaient empruntée se trouvait, paradoxalement, dans le coin le plus central de la pièce. Chacun des trois autres coins côtoyait au moins un mur extérieur. Le plus lointain était probablement le mur d'une des tours du manoir dans lequel ils se trouvaient. Un bureau ancien occupait le coin lui faisant face. Y trônaient une petite lampe élégante, qui côtoyait un échiquier orné de pièces de cristal taillé et d'étain. Non, probablement plutôt du cuivre, décida-t-elle. D'autres objets similaires ornaient la pièce. Un presse-papier de cristal doré, de la forme d'un simple cube, était posé là, ne semblant pas à sa place. Dans un autre contexte, il aurait pu être décoratif; mais au milieu de l'élégance raffinée de la bibliothèque, il avait un air déplacé, trop simple, trop mondain.

Oh, il devait avoir de la valeur, pensa Katy, probablement plus que tout le reste réuni; sinon cet enfoiré de riche ne le tolérerait pas ici. Ou peut-être, pensa-t-elle et secouant la tête devant l'ironie, peut-être que même un homme de bon goût, capable de discernement, comme c'était le cas pour Jack Rosen, pourrait ne pas être aussi parfait que son apparence ne le laisserait présager. Katy se demanda si, caché quelque part entre ces livres rares, il ne possédait pas une collection de revues pornographiques de mauvais goût. Plus elle y réfléchissait, plus l'idée lui semblait probable. Je connais ta faiblesse, enfoiré. Tu as intérêt à ne pas essayer de jouer au plus fin avec moi.

Les murs étaient couverts d'étagères d'acajou, peuplées de livres richement reliés, parmi lesquels se trouvaient probablement de nombreuses pièces rares et très anciennes. À intervalle régulier, les murs extérieurs étaient percés de fenêtres, offrant à la vue des vitraux de type gothique. Le coin extérieur se trouvait visiblement dans une tour circulaire, et formait un petit salon de lecture juste assez grand pour contenir une confortable collection de meubles victoriens, dont un petit canapé. Les murs arrondis de la tour étaient percés de grandes fenêtres en arches, aux vitres teintées. Au milieu de la tour pendait un magnifique lustre de cristal taillé qui illuminait une partie de la pièce.

À l'autre angle de la pièce se trouvait également un recoin confortablement aménagé, celui-ci d'un bar magnifique aux formes arrondie, qui se prolongeait d'une longue volute accolée au mur de la bibliothèque. Une riche collection de bouteilles de scotch occupait l'une des étagères surplombant le bar, l'autre étant couverte d'une riche collection de liqueurs variées, dont certaines, dans d'élégantes bouteilles au teint vert clair, contenaient sans aucun doute de l'absinthe du Portugal.

Au centre du mur intérieur se trouvait une imposante cheminée, judicieusement encadrée de coussins de lecture délicieusement m\oe lleux. Le milieu de la pièce était occupé par une longue table de conférence. Deux escaliers en colimaçon, contre les murs opposés, conduisaient à un balcon d'un bois précieux qui longeait tous les murs de la pièce, donnant accès à un second niveau d'étagères couvertes de livres. Le plafond voûté laissait apparente une charpente spectaculaire, chef-d'\oeuvre architectural, de laquelle pendaient deux énormes chandeliers qui, s'ils avaient été allumés, auraient empli le vaste espace d'une lumière chaleureuse.

Ils étaient cependant éteints, et la pénombre recouvrait l'immense pièce. Seuls le bar et le salon de lecture offraient un peu de lumière, en plus du feu qui craquait dans la cheminée.

«Extraordinaire, répondit Katy avec sincérité. C'est vraiment magnifique.

- Je serai ravi de partager ce lieu avec vous quand vous le voudrez, répondit Jack.

- Attention, ma chère Katy, fit Hilary dans un sourire peu rassurant. Jack, avez-vous dragué la petite servante au bar, ou l'avez-vous amenée directement sur la table de conférence ?»

Le directeur se racla la gorge.

- Jack, Hilary, s'il vous plaît. Gardez un peu de contenance jusqu'à la fin de cette réunion.

Jack gloussa, pendant que Hilary hochait dans un large sourire.

- Jack, Jack, voyez comme vous incommodez notre pauvre invitée.

- Hilary, ma chère, un commentaire déplacé de plus et je pourrais vous faire exclure de cette rencontre. rétorqua Jack, échauffé.

- À propos, où est notre illustre directeur de Double Eye ?

- Il devrait se connecter d'un instant à l'autre. répondit le directeur Bryant.

- En attendant, ma chère Katy, puis-je vous offrir un verre ? Peut-être du Scotch ? Jack a peut-être des défauts, mais ses choix de malt sont irréprochables.

- Merci, sans façon Madame Valenti.

- Monsieur, fit un autre agent d'intervention en s'approchant discrètement. Un appel de Monsieur Hollister, directeur de l'agence Intelligence Internationale.

- Nous y voila. Répondit Jack Rosen. Route la communication vers l'écran géant, fils.

- Monsieur le directeur ?» L'agent hésita. Bryant acquiesça brièvement, et l'agent entra consciencieusement une commande dans son datapad. Deux grandes étagères glissèrent alors latéralement, dévoilant un moniteur qui s'étendait du sol au plafond. Il s'alluma brusquement, et soudain, plus grand que nature, apparût le visage d'un vieil homme ridé qui les regardait avec attention.

«Bonsoir, Jack, Hilary, donald, commença le directeur Hollister. Bonsoir et bienvenue, agent Sinclair. J'ai beaucoup entendu parler de vous, en bien.

- C'est un honneur de vous rencontrer, Monsieur le Directeur.

- C'est ça. Bon, maintenant qu'on en a fini avec les plaisanteries, peut-on en venir au travail sérieux ? Mesdames et messieurs, asseyez-vous s'il vous plaît.»

Les chaises qui entouraient la table de conférence étaient aussi confortables que luxueuses.

«M. Rosen, fit le directeur, auriez-vous l'amabilité de montrer à Katy votre magnifique nouveau presse-papier ?

- Avec plaisir, Monsieur le directeur. Jack Rosen se leva, marcha jusqu'à son énorme bureau, et saisit le cube de cristal doré qu'avait remarqué Katy en entrant. J'ai vu qu'il vous avait intrigué, sourit-il en se penchant par-dessus la table pour tendre l'objet cubique à Katy.

- Il a l'air plutôt inintéressant, observa-t-elle en le tournant dans ses mains. Le cristal a des imperfections, presque un nuage d'imperfections. Ici. On dirait un connecteur standard pour fibre optique à grande vitesse. Et là, une prise jack, peut-être pour un casque. Elle posa le cristal sur la table, en réfléchissant. Est-ce un nouveau support de stockage pour des données musicales ?»

Jack et Hilary avaient tous deux l'air étonnés. Le directeur Bryant gloussa. «Je vous avais bien dit qu'elle était brillante. Non, Katy, nous ne pensons pas. Ou plutôt, nous pensons que c'est plus que ça.

- C'est l'un des trois que vos collègues du FBI ont saisi ces derniers jours, expliqua le directeur Holstein. Ceci, continua-t-il en tendant magistralement vers l'écran une sorte de filet léger de matière iridescente, a été découvert avec l'un de ces objets.

Katy s'agita.

- Un seul des appareils ? Pas les trois ?

- Non. Jusqu'à présent, c'est le seul que nous ayons trouvé. Ce qui est intéressant est que la personne sur laquelle il a été trouvé le portait sur sa tête, contre les tempes. Pas devant les yeux, pas dans les oreilles, mais sur le front et contre les tempes.

Katy frémit.

- Une interface neurale directe. répondit-elle. Une technologie bannie par la loi Bill Joy. Ils transmettent de la musique et des vidéos volés directement dans leur cortex auditif et visuel.

- Exactement ce que nous pensons, reprit le directeur Hollister. Directeur Bryant, mes compliments. Madame Sinclair est la personne qu'il nous fallait pour ce travail. Elle et Robert formeront une excellente équipe d'investigation.

- Merci, continua le directeur Bryant. Je suis convaincu qu'entre leurs mains, le mystère pourra être levé.

- Pardonnez-moi, interrompit Katy, mais je ne suis pas vraiment au courant de ce dont vous parlez ici. Vous avez trouvé trois personnes qui étaient en possession de contenu multimédia pirate, de technologie bannie qu'ils ont employé à des fins criminelles pour écouter illégalement des chansons et films copyrightés ?

- Non, répondit le directeur Hollister. Ou du moins, si c'est le cas, ce n'est qu'un morceau de la réalité. Ces appareils ne ressemblent à rien de connu. Nos scientifiques pensent qu'ils pourraient être des sortes de périphériques de stockage moléculaire, peut-être même des ordinateurs. Mais eux-mêmes admettent que ce ne sont que des spéculations. Personne ne comprend ni ce que qu'ils sont, ni ce qu'ils font, et encore moins comment ils fonctionnent.

- Voyez-vous ce que ça peut vouloir dire ? s'excitait Jack Rosen. Personne sur terre n'y comprend quoi que ce soit.

- Où voulez-vous en venir ?, coupa Katy. Que ces objets sont de technologie extra-terrestre ? C'est du délire ! Ce cube, ici, elle le prit pour ponctuer ses paroles, possède une interface standard pour fibre optique, et ce connecteur jack pourrait se brancher sur n'importe quel écran virtuel du commerce.

- C'est un fait. reprit le directeur Bryant. On a rejeté cette hypothèse presque dès le début.

- Presque ? J'ai du mal à croire que vous l'ayez considérée sérieusement.

- Katy, intervint le directeur Hollister en attirant l'attention sur son image plus grande que nature. Nous avons considéré un grand nombre d'hypothèses irréalistes, et rejeté la plus grande partie. Ce qu'il nous reste, cependant, est une énigme indéchiffrable, et pourtant, il nous faut nous y confronter.

- Ce que nous avons ici est d'une technologie que ni nous, ni aucun de nos meilleurs scientifiques, ne sommes en mesure de comprendre. Nous pouvons tout juste essayer de deviner quel est son principe de fonctionnement, et à quelles fins il peut être utilisé. Parmi nous, caché dans la population, se trouve un groupe de renégats qui a réussi à produire et distribuer ces appareils de technologie nouvelle -et bannie- au nez et à la barbe des instances de contrôle.

- La production en masse de ce genre d'appareils ne s'improvise pas, ajouta Hilary.

- Effectivement, enchaîna le directeur Bryant. Qui que soient ces gens, ils ont construit des usines, un réseau de distribution à grande échelle, et ils ont établi des canaux clandestins au moins en Australie et aux États-Unis, et probablement aussi dans d'autres pays. Aucun de ces appareils n'a été intercepté par la douane. Ils ont tous été découverts dans le cadre d'enquêtes de police concernant des problèmes sans relation.

- En d'autres mots, conclut le directeur Hollister, ils ont agit dans l'ombre, en toute impunité, juste sous notre nez.

- La loi Disney-Hollings est supposée éviter ce genre de dérives, ajouta Jack Rosen. Si ces criminels arrivent à faire du trafic d'équipement informatique aussi avancé que cela, alors il est évident qu'ils ont aussi dû en profiter pour pirater nos films.

- Et notre musique, ajouta Hilary.

- Rien ne permet encore de l'affirmer, signala le directeur Hollister. Ce que nous savons, c'est que ces gens ont, au minimum, dû violer des centaines de brevets. Si le marché était un jour inondé de ces appareils, tout le régime actuel de la propriété intellectuelle pourrait s'éffondrer. Si des entreprises opérant dans la légalité se retrouvaient en compétition avec un marché noir d'appareils construits sans respect pour les brevets ou les droits d'exploitation, elles aussi seraient tentées de violer la loi.

- Si elles le font, on foutra tous ces foutus fils de putes en prison. s'enflamma Katy. S'il y a bien une leçon qu'ils doivent retenir de la rébellion Genecraft, c'est que même les grands patrons ne sont pas au-dessus de la loi.

- Katy, répliqua le directeur Hollister sur un ton de reproche, notre régime de propriété intellectuelle est comme une banque. Une banque très bien réglée, qui s'assure de la prospérité de ses clients, et leur garantit un revenu stable dans le temps, mais une banque malgré tout. Comme n'importe quel système, si ceux qui y font des affaires décidaient soudain de ne plus se plier à ses règles, d'ignorer ses lois, et d'aller faire leur business ailleurs, alors tout l'édifice serait remis en question, et pourrait s'effondrer.

- C'est comme un tour à la banque... Une ou deux grandes entreprises commencent à enfreindre notre régime de propriété intellectuelle, et les autres suivront. N'oubliez pas la Thaïlande !

Katy hocha.

- Je comprends. Nous devons trouver ceux qui construisent ces appareils, et les mettre hors d'état de nuire.

- Exactement, répondit le directeur Hollister. Directeur Bryant a préparé vos instructions. Un stratojet vous attend à LAX, mis à votre service par l'Intelligence Internationale. Rendez-vous dans la matinée, ici à Washington D.C.

Katy sourit.

- Merci monsieur le directeur. J'ai été ravie de faire votre connaissance.

Il hocha.

- Donald, Jack, ma chère Hilary.

- Bonsoir directeur.

- Bonsoir.

- Bonsoir, mon cher.»

L'écran se fit noir, et les étagère reprirent silencieusement leur place dans un mouvement d'automate. «Jack, hilary, j'aimerais discuter seul avec l'agent Sinclair quelques instants.

- Je vous en prie, fit Jack. Hilary, voudriez-vous rejoindre les festivités avec moi ?

Hilary sourit, prenant Jack par la main.

- Avec plaisir.»

Le directeur Bryant attendit jusqu'à ce qu'ils soient partis, et que les portes se soient refermées derrière eux. L'un des agents d'intervention qui se tenait à proximité de la porte lui signala alors que la voie était libre.

«Katy, fit-il à voix basse, dans un instant je vous donnerai un paquet contenant toutes les informations que Double Eye nous a partagé jusqu'à présent, ainsi que des ordres écrits pour votre mission à Washington D.C. en compagnie de Robert Leahy.

Katy acquiesça.

- Katy, ces ordres stipulent que l'ensemble du dossier doit être considéré comme Mission Blanche. Vous avez appris au cours de votre formation ce que cela signifie; mais je dois vous dire que vous êtes le premier agent de toute une génération à qui une telle mission soit confiée. Vous comprenez ce que ça veut dire ?»

Katy était hébétée. Mission Blanche pour Double Eye... aucun dossier de suivi, aucune traçabilité. Tout serait fait dans le secret, non-officiellement, et si jamais quelque chose devait aller de travers, elle serait seule sans défense. Le Bureau nierait toute implication. De telles dossiers étaient rares. Les Missions Blanches étaient uniquement utilisées dans les cas où la sécurité exigeait de supprimer tous les intermédiaires.

«Je comprends, Monsieur.

Le directeur la fixa posément, avec gravité.

- Katy, nous ne savons pas si ces gens-là ont des agents infiltrés. Étant donnée l'ampleur de l'opération, et notre totale absence d'indices, nous devons envisager le pire. Quel effroyable bourbier...»

Intelligence Internationale, l'agence dont le sigle, prononcé en anglais, «Eye Eye, Double Eye», évoquait opportunément l'omnipotence, menait, au-dessus des états, au-dessus des peuples, de grandes campagnes pour les grandes causes de ce monde, affranchie des querelles politiques et des intérêts particuliers. Katy avait déjà rêvé, dans sa fière jeunesse, d'emprunter le costume de ses insaisissables agents de l'ombre. Elle sentait à présent peser sur ses épaules tout le poids de la réalité, du risque extême qu'elle allait encourir jusqu'à une impossible marche arrière. À l'issue de sa mission l'attendait soit une somptueuse promotion, soit la déchéance vers une misère sans fond, où elle partagerait probablement le sort des violeurs de copyright et des mangeurs de petits enfants.

«Katy, votre datapad contient une clé cryptographique de catégorie 1, parmi les plus sûres que nous possédions. Utilisez-la. Toute communication, écrite ou orale, entre nous deux devra être chiffrée avec autant de soin que possible.

- J'y veillerai.

- Dans ce cas, je vous laisse partir. Votre avion vous attend.

- Bien Monsieur.

- Et, Katy...

- Oui Monsieur ?

- Cet agent de Double Eye, Robert Leahy. Il a une ascension de carrière encore plus fulgurante que la votre. Ces gens-là sont des durs. Surveillez votre dos.

- J'y prendrai soin, Monsieur. Le directeur Bryant acquiesça lentement.

- Bonne chance.»


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Thomas Tempe 2003-10-26