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Washington

La liberté d'une démocratie n'est pas sûre si le peuple tolère la croissance des pouvoirs privés au point qu'ils deviennent plus puissants que l'état démocratique lui-même. C'est là l'essence du fascisme - l'appropriation du gouvernement par un individu, un groupe, ou une puissance privée.
- Président Franklin D. Roosevelt

Lundi 1er octobre 2057 - 14:40
(Métadate :  2.285-0:71:190 kD nouvel epoch)
Washington, D.C.

En débarquant de l'avion, Katy fut accueillie par un jeune homme mince aux cheveux noirs. Il portait l'un de ces costumes classiques qui était devenu le sceau des plus hauts échelons de l'Amérique corporatiste, bien que la cravate traditionnelle qui pendait à son cou fût devenue un peu désuète au cours des dernières années.

«Mademoiselle Katy Sinclair?, avait-il demandé. Robert est particulièrement heureux de vous rencontrer. Je vous en prie.» Il lui avait tenu la porte arrière de la limousine.

Un autre jeune homme, d'allure toute aussi irréprochable l'y attendait. Hésitante, Katy était rentrée dans la voiture.

Si elle n'avait pas déjà passé des semaines dans les bras prodigues de Hollywood, elle aurait été choquée par l'élégance spacieuse et le luxe éhonté qui se cachait derrière les vitres pare-balles teintées de la limousine. Elle se sentit reconnaissante pour le niveau de désensibilisation que lui avait fourni cette expérience. Elle revêtit son apparence la plus professionnelle, et fit un signe poli à l'homme qui se tenait face à elle. Cet homme sortait tout droit d'un film: grand, la peau richement bronzée, et des cheveux blonds coupés courts. Elle remarqua à peine que la porte se fermait derrière elle, et que la voiture démarrait.

« Katy Sinclair!. Il il sourit du coin des lèvres, tendant la main. Robert Leahy. Je vous ai vu à la télévision. Pas exactement la couverture idéale pour un agent secret. Il fit un autre sourire en réponse à son froncement de sourcils. Elle ne s'était pas vraiment attendue à rencontrer un australien, bien qu'il ne fut pas déraisonnable pour Intelligence Internationale d'affecter à cette affaire quelques-uns de ses agents étrangers.

- C'était un malheureux accident, concéda Katy. J'ai cru comprendre que le Federal Bureau of Investigations avait sérieusement remonté les bretelles à la Motion Picture Association concernant le problème. Très heureuse de vous rencontrer, Robert.

- Appelez-moi Bob, si vous voudrez bien. Donc le FBI est tout aussi perplexe que Double Eye devant ces fameux cubes de cristal.

Katy hocha.

- J'ai lu tout le dossier plusieurs fois, et bien que je doute que ces objets ne soient que de simples magnétoscopes améliorées, peut-être capables de se connecter directement à FreeNet, on peut assumer que c'est une hypothèse de départ acceptable.

Robert acquiesça.

- Sages paroles.

- Mon supérieur m'a indiqué que vous auriez des informations supplémentaires à me transmettre.

Robert glissa la main dans sa veste, et en ressortit un datapad au profile effilé, faisant signe à Katy d'en faire autant. Elle saisit son datapad dans sa poche de derrière, et le leva, pointant le port optique dans la direction approximative de Robert. Il esquissa un sourire tandis qu'un faisceau de lumière commença la transmission de plusieurs centaines de gigaoctets de son datapad vers celui de Katy, illuminant l'intérieur de la voiture.

- Donc, fit Katy alors que les données continuaient de se transmettre, on a retrouvé trois cubes de cristal en possession de trois personnes sans relation apparente. Les cubes sont composés d'un polymère cristallin, dopé au gallium et parcouru de fibres superconductives. On pense qu'ils pourrait s'agir d'une sorte de moyen de stockage, avec une fonction de lecture par une interface que l'utilisateur porte sur la tête, probablement une interface neuronale.

- Le premier cube trouvé était effectivement un polymère complexe dopé au gallium. Mais les deux suivants étaient faits d'un polymère complètement différent, cette fois dopé au nickel. Et tissé du même superconducteur, autant qu'on puisse dire.

- Les cubes n'ont pas la même construction? demanda Katy, surprise. Ça n'est pas mentionné dans mon briefing.

- Ça a peut-être été négligé par votre Bureau dans un premier temps, estima Robert, et les deux autres cubes sont en possession de Double-Eye, votre personnel aura été dans l'incapacité de vérifier ses informations. Le port optique de son datapad s'éteint brutalement. Katy jeta un oeil à l'ouest, observant le coucher du soleil, ses oranges et ses rouges profonds ternis par les vitres teintées de la voiture. Toutes les informations sont dans le briefing que je vous ai flashé, y compris les photos des trois cubes, les évaluations préliminaires de leur composition chimique, et des coupes annotées..

Katy tapota son datapad, faisant apparaître les informations et examinant plusieurs diagrammes.

- Ces appareils sont deux fois plus petits que celui que j'ai vu, fit-elle.

Robert hocha.

- Différents fabriquants, probablement dans différents pays. Ça signifie qu'il doit y avoir un marché de plusieurs dizaines de milliers d'unités, au moins. Suffisamment vaste pour attirer les intérêts commerciaux et la compétition.

- Mais pourtant un marché complètement secret, fit Katy. Cette interface neuronale, si c'est bien ça, pourrait valoir à son fabricant une rencontre en tête-à-tête avec le tribunal des Nations Unies, et un abonnement à vie à l'emballage forcé de paquets de riz pour le tiers monde. Ces appareils doivent être très chers, si les marges doivent justifier une telle prise de risques. On doit s'attendre à faire face à des personnes influentes, avec une passion pour les gadgets électroniques haut-de-gamme que le marché du grand public ne peut pas satisfaire.

- Ces appareils sont difficiles à obtenir, ajouta Robert. Aucun de nos informants n'a eu vent de leur existence, que ce soit par forums Internet, par listes de diffusion, ou par groupes locaux. La publicité doit se faire de bouche à oreille, entre des groupes de personnes très proches. Tout ça n'est pas réellement compatible avec un marché de dizaines de milliers d'unités. Ce qu'on recherche ne correspond à aucun des modèles connus de diffusion sur marché noir.

- Le FBI en est arrivé à la même conclusion, confirma Katy. Et tout ça nous ramène à nos petits amis en garde-à-vue...

- Moins celui que vous avez zigouillé.

Katy grimaça.

- C'est pas nous qui lui avons tiré dessus. C'est un imbécile de policier local. Si je le pouvais, j'irais lui tordre le cou personnellement.

Robert hocha.

- Je ne peux pas dire que je vous en veux. La gâchette de cet allumé nous a coûté notre meilleure piste.

Katy sortit son datapad, cliqua sur plusieurs icônes, puis plaça brièvement son pouce sur l'écran tactile.

- Emprunte digitale identifiée. Bonjour Katy Sinclair.

- Que faites-vous? demanda Robert.

- Je vérifie le passé bancaire de nos petits amis, fit-elle en griffonnant quelques commandes au travers de l'écran, et cliquant sur plusieurs autres icônes. Je veux savoir s'ils ont déjà été au même endroit.

- Économisez vos forces, Katy. Nos deux départements ont déjà fait toutes les recherches possibles sur les trois suspects. Aucun n'a jamais rencontré aucun autre, que ce soit en ligne ou en face-à-face, ni ne reconnaît les autres en interrogatoire.

Katy hocha en continuant de taper des commandes dans son datapad. Après un instant, elle s'arrêta, puis se pencha en arrière, pensive.

- C'est exact, Bob. Ils ne se sont jamais rencontrés. Mais bien qu'ils n'aient jamais été dans la même ville en même temps, deux d'entre eux ont été dans les mêmes villes à des moments différents. Katy tendit son datapad à Robert. Trente-sept villes en tout. Sept dans les trois dernières années. Pas aussi spécifique que je n'aurais aimé, mais dès qu'on aura arrêté un ou deux suspects supplémentaires, les données géographiques seront beaucoup plus précises.

Robert acquiesça.

- Très bon point. En assumant qu'il y a un marché de cinquante mille violateurs de brevets, il ne devrait pas y avoir plus de trois ou quatre degrés de séparation dans l'ensemble du groupe. Quelques arrestations supplémentaires, et on pourrait même arriver à résoudre cette enquête sans la coopération des suspects.

- J'aurais juste aimé qu'on aie plus de corrélations concernant leurs données. Leurs profiles Carnivore ne révèlent pas plus de liens ou de similarités entre les trois suspects qu'entre trois inconnus choisis au hasard. Ils ne se sont jamais écrit, jamais téléphoné, et, autant qu'on puisse dire d'après leur fichage, ils n'ont jamais fréquenté les mêmes forums ou groupes de discussion. Elle semblait consternée. Il nous manque un élément clé qui relie ces gens. Sans cela, il faudra encore arrêter pas mal de monde avant de combler ces trois ou quatre degrés de séparation.

- Effectivement. On ne peut pas se contenter de faire des statistiques. La théorie des nombres suggère que pour identifier une ou deux zones géographiques avec un taux de certitude de quatre-vingt pourcents, il nous faudra entre huit et douze suspects -peut-être plus, selon la dispersion géographique et la diversité des profiles Carnivore du groupe.

- Est-ce que Double-Eye a accès au système Echelon de la NSA? demanda Katy.

Robert sembla d'abord surpris, puis répondit dans un sourire.

- Pas directement, mais la NSA nous fournit occasionnellement des rapports Echelon, à titre gracieux. Qu'est-ce que vous aviez derrière la tête?

- Faire une recherche dans la base de données des communications qu'ils ont interceptées, en éliminant celles qui sont en rapport avec les dossiers ouverts par eux, la CIA, le FBI ou Double-Eye. Et croiser leurs données avec l'analyse géographique que je viens de faire. C'est un peu une partie de pêche, mais si la NSA ne faisait qu'une chose, ce serait bien d'enregistrer minutieusement ce que dit, écrit ou fait chacun des citoyens de ce pays. On a peut-être une chance de trouver quelque chose.

- Je vais voire ce que je peux faire,» fit simplement Robert.


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Thomas Tempe 2003-10-26